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La voie romaine de l'Oisans, plaquettes de 1865 et 1878

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Tous ceux qui s'intéressent au régionalisme savent que la bibliographie fourmille d'ouvrages sur des recherches souvent très pointues d'histoire locale. La tracé de la Voie romaine à travers l'Oisans est de ceux-ci. Certes, la question est difficile à résoudre car, dans ces pays montagneux, quelques obstacles paraissent avoir opposé une barrière infranchissable au tracé de la voie. Dans le cas présent, les gorges de l'Infernet (Infernet = Enfer) était un de ces obstacles.

Je n'ai pas fait la bibliographie complète des savants et archéologues qui ont publié sur la question. Sachez que dans l'ouvrage Patrimoine en Isère. Oisans., publié en 2001 par le Musée Dauphinois, Jean-Pascal Jospin fait le point sur la question et, au passage, en profite pour proposer sa propre hypothèse. Si certains d'entre vous se sentent une âme de chercheur, ils peuvent apporter leur contribution...

Ce préambule pour introduire la rare réunion de ces deux plaquettes quasi introuvables du docteur Joseph-Hyacinthe Roussillon (1808-1895), de Bourg d'Oisans qui a apporté sa contribution à la question, d'abord en 1865, puis en 1878.



Malgré l’exercice d'une profession difficile à cette époque, ses quelques loisirs, complétés de ses propres recherches sur le terrain, lui ont permis de proposer sa propre hypothèse. Je ne la détaillerais pas. Elle est bien représentée sur cette carte.


Il suffit de savoir qu'ils se fonde sur les quelques restes archéologiques qui ont pu être découverts, mais surtout sur l'étymologie d'un certain nombre de lieux. Il cherche en particulier à identifier les stations de la carte de Peutinger. Ses raisonnements restent très souvent conjecturaux, n'hésitant pas à « tordre » les étymologies pour conforter ses hypothèses. Au passage, il a pressenti que le climat de l'époque romaine était moins rude que de son temps, ce qui permettait d'imaginer l'hypothèse d'une route qui déroulait son tracé à plus de 1 800 mètres d'altitude.

Cette carte de l'ouvrage de J.-P. Jospin montre que de nombreuses hypothèses ont été envisagées.


Pour illustrer cette voie romaine :

Un dessin anonyme de 1859 qui représente la voie romaine de l'Oisans. 
Le point de vue n'est pas complétement identifié.
Il doit s'agir du début de la vallée de la Romanche, dans la partie que l'on appelle l'Infernet.

La porte de Bons, dans Monumens celtiques, de Jacques Cambry, 1804


La porte de Bons photographiée par H. Ferrand

Pour plus de détails, voir les notices sur les deux plaquettes du docteur Rousillon (cliquez-ici), l'ouvrage de Jacques Cambry : Monumensceltiques ou Recherches sur le Culte des Pierres et la plaquette d'Henri Ferrand : Une collective à la Porte Romaine et au Col de l'Alpe. 21 mai 1905.

Alpes fleuries, Gap, 1898

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Loin de la capitale, en ce XIXe siècle finissant, il existait aussi dans nos provinces, à Gap par exemple, le désir de publier des beaux livres, sur un papier de qualité, bien illustrés, sous une belle présentation. C'est une livre comme celui-ci que je présente aujourd'hui.


Sous une chemise couverte de soie verte, à lacets, sont rassemblées 12 feuillets sur papier du Japon, dont 9 portent un poème dédié à une fleur des Alpes, illustré d'un dessin en arrière plan représentant un paysage de nos montagnes (Hautes-Alpes, Savoie, Dauphiné).










Paru en 1898, ce petit recueil est l’œuvre de deux frères, Georges et Raoul du Lédo, pseudonyme qui cachent Georges et Raoul Chapuis, dont la renommée n'a guère survécu à leur bref coopération de la fin de siècle.En effet, Georges écrivait et Raoul illustrait.


Cet exemplaire porte le n° 312. J'avoue être sceptique car une telle publication, probablement à compte d'auteur, ne devait pas atteindre un tel tirage. C'est d'ailleurs la première fois en 15 ans que je le vois. A défaut d'autres information, je la prends pour tel.

Je sais que ce petit ouvrage "bibliophilique" reste bien modeste, surtout lorsqu'on le compare aux belles productions de l'époque. Néanmoins, "tel qu'il est, il me plaît" !

Pour un description plus complète : cliquez-ici.

Victor Lagier, libraire à Dijon,... et libraire haut-alpin

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Tous les bibliophiles ont sûrement entendu parlé, au moins une fois, de Gabriel Peignot, célèbre pour son Manuel du Bibliophile, ou Traité du Choix des Livres, paru à Dijon en 1823. Les plus savants (comme les bibliomanes modernes bourguignons...) se rappelleront qu'une bonne partie de sa production a été publiée par Victor Lagier, libraire à Dijon. Enfin, une proportion encore plus restreinte de nos bibliophiles se rappellera immédiatement que Victor Lagier était un libraire originaire des Hautes-Alpes.


J'ai déjà eu l'occasion de parler de quelques libraires de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècles qui étaient originaires des montagnes des Hautes-Alpes. Je renvoie à ces quelques billets sur mon blog ou à ces pages sur mon site :
  • La famille Gauthier, du Noyer en Champsaur, à l'origine de la dynastie des Gauthier-Villars. J'ai prononcé une conférence sur l'histoire de cette famille de libraires : cliquez-ici.
  • Dominique Villars, futur botaniste, qui a eu une expérience de colporteur-libraire : cliquez-ici.
  • Louis Fantin, un libraire briançonnais, à Paris : cliquez-ici et cliquez-là.
  • Les libraires briançonnais qui ont dominé la librairie portugaise, et plus précisément lisboète, à partir du XVIIIe siècle : cliquez-ici.
  • Le libraire Carilian-Gœury : cliquez-ici et cliquez-là.
Aujourd'hui, je m'intéresse à Victor Lagier (1788-1857). Qu'est-ce que motive un tel intérêt aujourd'hui ? Tout simplement que j'ai découvert récemment que ses mémoires avaient été publiés. Je viens de les lire et ce billet en est un rapide compte-rendu

Acte de baptême de Victoir Lagier

Comme il se doit, Victor Lagier a fait l'objet d'une notice dans : Les imprimeurs et les libraires dans la Côte d'Or, de Clément-Janin, Dijon, 1883. Ces quelques extraits sont un bon résumé de la vie de Victor Lagier :
Lagier fut à la librairie dijonnaise, ce que Palliot, Causse et Frantin avaient été à l'imprimerie. C'était un novateur.
Il naquit le 22 décembre 1788 à Laulagnier, canton de Saint-Bonnet (Hautes-Alpes), d'humbles laboureurs : le sixième de neuf enfants. A neuf ans, sachant à peu près lire, écrire et compter, on l'envoya garder les chèvres dans un village voisin. Tourmenté du besoin d'apprendre, il mit à profit, pour s'instruire, ses longues heures de solitude, et travailla avec tant d'ardeur qu'à quatorze ans il était à même de diriger une école et de tenir les livres d'un commerçant.
La commune de La Balme choisit Victor Lagier pour instituteur, bien qu'il n'eût que 17 ans; mais jugeant bientôt l'enseignement sans avenir, il le quitta, après une année d'exercice, pour se consacrer au commerce des soieries, et signa à Lyon, le 25 avril 1805, un contrat d'apprentissage.
Ce n'était pas encore là son idéal. Le goût de Victor Lagier pour les livres s'était développé jusqu'à la passion : il n'y résista plus et abandonna la barre du canut pour la balle du colporteur.
Sans ressources (l'apprentissage avait tout épuisé), il emprunta six francs avec lesquels il se procura des almanachs, des contes de fées, et autres spécimens de la librairie populaire d'alors, qu'il revendit avantageusement sur les quais de Lyon. Dur à la fatigue, vivant de rien, après quelques mois de travail, et malgré les douleurs qui le retinrent à l'hôpital, Lagier avait amassé un pécule qui tenta la cupidité d'un confrère, son compatriote et son ami. Abusant de son inexpérience, ce libraire lui vendit un assortiment de livres sans valeur. Lagier, ruiné par ce marché désastreux, se fit successivement écrivain public, manœuvre et moissonneur, pour échapper à la faim.
Cependant, les livres l'attiraient de nouveau. A force de courage, de persévérance, de privations, aidé aussi par un homme de bien, Lagier se releva, et reprit avec joie la balle du bizouard. Le sort devait encore se jouer et de sa jeunesse et de sa bonne foi.
Certain confrère, alléché par ses économies et frappé de ses aptitudes, lui offrit une association, le mettant en apparence à la tête d'un établissement important. Ce traité, accepté avec transport, obligea bientôt Lagier à payer les dettes cachées de son associé et à remonter encore son rocher. Il ne lui restait, du beau rêve entrevu, qu'une misérable pacotille avec laquelle il arriva à Dijon au mois de mai 1809.
Une planche posée sur des tréteaux, au Coin-du-Miroir, et à peine garnie de bouquins, telle fut la première assise de la fortune que Lagier devait édifier. Il quitta bientôt cette boutique en plein vent pour occuper dans la rue Rameau, le portique du Musée, ouvert comme aujourd'hui, et dont il avait compris l'importance pour le commerce de détail.
Ces modestes débuts excitèrent pourtant la jalousie des libraires dijonnais. Ils mirent la police aux trousses de Lagier, parce qu'il n'avait point de brevet, tout en lui refusant le certificat d'aptitude nécessaire pour l'obtenir. Ces persécutions l'obligeaient souvent à déplacer son étalage, et même à le transporter dans les villes voisines. Les libraires de Dôle et de Besançon se montrèrent plus généreux et, grâce à leurs attestations favorables, le brevet de libraire de Lagier fut signé le 4 février 1811.
[...]
Désormais fixé à Dijon, Lagier ajouta à son commerce des "livres modernes et de nouveautés", celui des vieux livres. L'heure était propice, et bientôt le portique du Musée devint un des lieux de réunion des bibliophiles. C'était dans ce passage malsain (Victor Lagier eut le courage de l'habiter pendant plus de vingt ans), que Maret de Charmoy, les deux Baudot, de Mimeure, Amanton, Gabriel Peignot, de Rochefond, Girault, de Meixmoron, Bernard Joliet, ainsi que de nombreux amateurs étrangers, trouvaient les raretés dont ils enrichissaient leurs collections, et sauvaient de la destruction tant de débris précieux du savoir et de l'esprit d'autrefois.
[...]
Il avait alors une des plus importantes librairies de province. Au commerce de détail, il ajouta, sur une grande échelle, la publication des livres. [...]
 Dès 1837, Victor Lagier avait remis sa librairie de détail. Il ne quitta définitivement les affaires qu'en 1848, après avoir divisé entre plusieurs éditeurs de Paris et de Dijon, le fardeau de ses nombreuses publications.
[...]
Victor Lagier mourut en revenant des eaux de Louèche, à Martigny (Valais), le 31 août 1857.
Clément-Janin termine sa notice en annonçant qu'il "a laissé des Mémoires pleins d'utiles enseignements, d'appréciations curieuses sur les hommes et les choses de son temps, qu'il serait intéressant de publier." La notice de Clément-Janin est d'ailleurs un bon résumé de ces mémoires. Or, ces mémoires ont été publiés en 2009, de façon assez discrète.


Leur lecture est effectivement pleine d'intérêt. La jeunesse et la formation de Victor Lagier sont particulièrement développées. C'est une intéressante évocation de la vie d'un jeune paysan, issu d'une famille aisée, tout du moins selon les critères de sa région, que les conditions familiales et un contexte local, qui poussent les cadets à tenter l'aventure pour se faire une place au soleil, ont conduit à suivre sa propre voie, malgré son défaut d'éducation. C'est une évocation instructive d'un monde de libraires qui oscillent entre le colportage, parfois à grande échelle, et la librairie. Lorsqu'on parle de colporteurs de livres, il ne faut pas l'imaginer ainsi :


mais plutôt comme des marchands-forains, qui transportent leur malles de ville en ville.

Sur l'instruction, rappelons que Victor Lagier a bénéficié de cette instruction de base qui était donnée dans les villages des Hautes-Alpes, permettant d'acquérir les savoirs pratiques permettant à un future propriétaire-cultivateur de mener ses affaires. Cette instruction n'incluait évidemment pas les fameuses Humanités qui distinguaient l'honnête homme de l'époque et lui offraient une aisance pour se mouvoir dans la culture de son temps. L'absence de cette culture a, semble-t-il, fait souffrir Victor Lagier, qu'il a compensée par un travail assidu pour maîtriser les savoirs de sa profession.

L'intérêt majeur de ces mémoires est de voir comment l'on pouvait passer de la pauvreté à l'aisance, revenir au dénuement, puis se refaire, si tant est que l'on faisait preuve d'initiative et de persévérance. On y voit aussi le poids des réseaux familiaux (il met le pied à l'étrier de ses frères, même s'il est amené à le regretter pour l'un d'eux), ainsi que le réseau de ses compatriotes hauts-alpins, même si, là-aussi, il sera victime de son inexpérience et de leur roublardise un peu malhonnête.

Dans quelques chapitres en fin d'ouvrage, il révèle le secret de sa réussite. Ne vous attendez-pas à une découverte ! C'est un éloge des valeurs bourgeoises de travail, d'épargne, de probité, de prudence, de sobriété et d'initiative calculée. Paresseux, viveurs, rentiers, dilettantes, passez votre chemin, les principes de Victor Lagier ne sont pas pour vous si vous ne consentez pas à renoncer à vos mauvais penchants, surtout si vous souhaitez devenir libraires ! Même s'il y a un peu de naïveté parfois dans ces pages, c'est un bel exemple d'un homme qui, guidé par sa passion pour les livres, s'est peu à peu révélé un spécialiste et un vrai amoureux des livres, même s'il a toujours été conscient qu'il lui a manqué un instruction plus développée (il ne sait pas le latin, par exemple) qui lui aurait permis d’exercer plus facilement son métier.

Accessoirement, si vous voulez savoir comment se marie un jeune homme en ces années de romantisme naissant (Chateaubriand a publié quelques années auparavant Atala et René), ce court passage nous instruira :
Mes affaires étaient alors en bonne voie. Dans la seule année 1812, je réalisais près de quatre mille francs de bénéfices. Ces succès m'attachèrent davantage à mon commerce, pour lequel l'expédition de Russie commençait pourtant à m'inquiéter. Le besoin d'hommes pouvait aussi amener une nouvelle levée de conscrits et j'avais lieu de craindre d'y être compris.
Monsieur Schut, contre la maison duquel j'avais fait mon premier déballage à Dijon et qui m'était resté attaché, me conseilla de quitter le célibat pour différer au moins mon appel et me proposa un parti très honorable. Il chargea de me faire agréer, et dans l'automne de cette année, il négocia mon mariage avec mademoiselle Thérèse Mélanie Gresely, fille aînée de madame Anne Marie Gresely, veuve de monsieur André Gresely, maîtresse de verrerie à Spoix, commune du département de l'Aube. Monsieur Schut s'approvisionnait à cette verrerie; il avait la confiance de la maison et la méritait. On s'en rapporta donc à lui de part et d'autre et, après quelques entrevues, ma demande fut accueillie.
On est loin du romantisme ! Mais rien dans ses origines et sa culture personnelle ne le prédisposaient à l'amour romantique. Comme pour ses ancêtres, le mariage était aussi une affaire d'intérêts bien compris.

Je reviens rapidement sur le libraire malhonnête qui a abusé de son inexpérience. Il s'agit du libraire Arnoux Millon de Lyon, natif de Poligny, dans les Hautes-Alpes (village voisin du hameau natal de Victor Lagier). Le hasard étant ce qu'il est est, un des ouvrages de ma bibliothèque contient, collée au premier-contre-plat, une belle étiquette du libraire Millon, alors installé quai Villeroy à Lyon (ce quai, devenu le quai Saint-Antoine, est encore le lieu des bouquinistes).


Pour finir, quelques regrets sur cette édition. D'abord, elle aurait mérité d'être accompagnée d'un minimum d'appareil critique, même réduit à quelques notes explicatives, pour donner plus de sens à ce texte. L'autre regret est que le texte aurait nécessité une relecture plus attentive. Si on veut bien passer sur les fautes de frappe, voire les erreurs de lecture évidentes ("mire" au lieu de "nuire"), quelques vérifications des noms propres auraient évité de parler de "Cournon" au lieu de "Tournon", ou du président Bonbier, auteur des Coutumes de Bourgogne, alors qu'une simple vérification dans Google (je n'en demande pas plus) aurait permis de lire correctement Bouhier...

On ne souhaite pas à cette édition de suivre le chemin de l'épicier qui, semble-t-il à l'époque et à en croire Victor Lagier, était le destin naturel des invendus de la librairie !

 Vue aérienne du bocage Champsaurin autour de L'Aulagnier, hameau natal de Victor Lagier

  Vue aérienne de L'Aulagnier à Saint-Bonnet-en-Champsaur

Cette notice sur un hôtel particulier, l'hôtel Lory, de Dijon acquis par Victor Lagier en 1842 donnera une idée sur le chemin parcouru (cliquez-ici) :


Le Banc des Officiers, de Jean Faure, 1825 : un exemplaire inattendu

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En cette année 1809, alors que la guerre gronde à travers l'Europe, le paisible village de La Motte-en-Champsaur (Hautes-Alpes) est le siège d'un violent conflit entre le maire et le curé à propos du banc de la mairie dans l'église paroissiale. Seul le préfet du département pourra départager les belligérants. Ce fait, mineur en soi, aurait disparu dans les oubliettes de l'histoire si Jean Faure, alors notaire à Orcières, à quelques kilomètres de là, n'avait eu l'envie de conter ces luttes villageoise dans un poème en 5 chants, au ton badin et légèrement sarcastique.


Que l'on ne s'étonne pas, l'époque était propice à la poésie. Le notaire, le préfet, le curé, etc. n'hésitaient pas à versifier, qui sur le mode comique, comme notre notaire, qui sur le mode romantique, comme un autre préfet des Hautes-Alpes, Ladoucette.

La première version du poème a paru en 1810. Mais, comme toutes les grandes œuvres, elle a fait l'objet d'un travail d'améliorations au fil du temps, amélioration sur la forme (entre deux actes, le notaire a le temps pour polir son métier de poète), amélioration sur le fond, car entre-temps, le notaire est devenu sous-préfet en 1822. Une certaine légèreté dans la figure du prêtre ne sied plus à un représentant de l'orde monarchique et religieux de la Restauration. C'est ainsi qu'en 1825, notre poète Jean Faure publie une deuxième édition, la plus complète, en 6 chants.

C'est un exemplaire de cet ouvrage qui vient de rejoindre ma bibliothèque. Pour des raisons que j’expliquerai plus loin, l'ouvrage méritait déjà de rejoindre ma bibliothèque. Cependant, il a quelques choses de plus, qui lui donne comme un cachet spécial et un peu inattendu. En effet, sur le premier contre-plat, il porte le bel ex-libris d'un Lord anglais :

Lord Hamilton Francis Chichester (1810-1854)

Ensuite, le faux titre est couvert d'un long envoi en anglais :

Je l'ai déchiffré (du moins je le pense, car l'écriture est peu lisible et mon anglais un peu insuffisant pour rétablir les mots difficilement lisibles) :
To Miss Blake
from J H Frere who says that this poem is first heard with at Marseilles in 1825 and which he has never heard mention since, is one the prettiest thing in the french language.
que j'ai traduit par :
A Miss Blake, de J H Frere qui précise que ce poème qu'il a entendu pour la première fois à Marseille en 1825 et dont il n'a jamais entendu parler depuis, est une des plus jolies choses en langue française.

Ce modeste petit ouvrage, dont l'audience ne devait guère dépassée les Hautes-Alpes (voire une partie des Hautes-Alpes), a eu l'heur de plaire à un écrivain et diplomate anglais, John Hookham Frere (1769-1846), qui s'installa à Malte en 1821. Rejoint pendant quelques temps, à partir de 1825, par sa nièce Honoria Anastatia Blake, il en fit son héritière, la considérant comme sa fille. Nous savons aussi qu'en 1825, il fit un voyage en Angleterre. C'est probablement à ce moment-là, passant par Marseille pour rejoindre Malte, qu'il a découvert ce poème que rien, sinon le hasard, ne pouvait lui faire découvrir. Il a donc dédicacé un exemplaire de l'ouvrage à cette nièce. Honoria Anastatia Blake (la Miss Blake de la dédicace) a épousé Lord Hamilton Francis Chichester en 1837.

Etonnant, non ?

Pour finir, Lord Hamilton Francis Chichester, pour conserver ce précieux témoignage d'affection de l'oncle à la nièce, l'a fait agréablement relier :


Pour ceux qu'intéresse l'histoire de ce texte majeur de la littérature française (je rappelle qu'il a été lu jusqu'en Angleterre et à Malte), je les renvoie à la page que je lui consacre : Le Banc des Officiers. En effet, Jean Faure ayant vécu jusqu'à 87 ans, il y a une troisième version, en quatre chants, très différente par le contenu et le style, même si la trame de l'histoire reste la même.

J'ai deux raisons particulières de m'intéresser à ce texte. La première est que, tout simplement, j'ai un attachement particulier à la Motte-en-Champsaur, village d'origine d'une partie de ma famille. En 1809, mes ancêtres Joseph Escalle et Rose Gauthier ont sûrement été partie prenante dans ce conflit, d'autant plus que le maire de l'époque, un des deux protagonistes et chefs de partis, Jean Alexandre Lagier, avait été un de leurs témoins de mariage. Au passage, ce maire aux idées avancées, peut-être un peu voltairien, a signé "Lagier fils sans culotte" dans l'acte de mariage de mes ancêtres en 1794 (il y a peut-être aussi un peu d'opportunisme !). Rien que cela était une raison suffisante.

 Mariage Joseph Escalle - Rose Gautier, avec la signature de Jean Alexandre Lagier

 
 Deux cartes postales anciennes de La Motte-en-Champsaur

L'autre raison est que je collectionne patiemment tous les ouvrages publiés par Jean Faure, dit Jean Faure du Serre (1776-1863), modeste célébrité nos vallées des Hautes-Alpes. Comme le dit Adolphe Rochas dans sa Biographie du Dauphiné : "M. Faure a consacré à la poésie les loisirs que lui laissaient ses prosaïques travaux de notariat et d'administration; peut-être même a-t-il cherché dans cette douce occupation l'oubli des nombreux chagrins qui l'ont éprouvé pendant sa longue carrière. On lui doit, notamment, trois poëmes héroï-comiques dans lesquels il chante de fort plaisants événements, dont le département des H.-Alpes a été le théâtre. Ces poëmes sont écrits avec verve et entrain : il y a de la gaîté, de bonnes saillies, beaucoup plus qu'on ne saurait raisonnablement en attendre d'un homme ayant été notaire et sous-préfet.".
Je lui ai donc consacré une page : Jean Faure du Serre.

Pour illustrer ma collection "in progress" (cet exemplaire m'a rendu anglophile !), quelques photos d'autres ouvrages de Jean Faure du Serre, avec les liens vers les pages de mon site, pour ceux qui veulent aller plus loin dans la connaissance de l'auteur.

 La Tallardiade, Gap, 1819 (voir la page : cliquez-ici)

 
 La Tallardiade, Gap, 1839 (voir la page : cliquez-ici)

 
 Œuvres choisies, Gap, 1858 (voir la page : cliquez-ici)

Pour finir ce long message, une remarque et une interrogation. J'entends souvent dire, voire je lis parfois sur des blogs amis, qu'acheter en ventes aux enchères permet de payer moins cher. Sur cet exemple particulier (je ne lance pas de débat général), c'est exactement l'inverse, car il m'a coûté un prix déraisonnable, poussé par un commissaire priseur qui devait voir mon œil briller d'envie. L'autre raison et c'est là mon interrogation, je me suis retrouvé face à un enchérisseur tout aussi déterminé que moi. J'avoue être très curieux de savoir ce qui motivait cet enchérisseur par téléphone, alors que, objectivement, rien dans l'ouvrage ne le justifiait. Il y a donc un deuxième amateur, soit intéressé par la Motte-en Champsaur (village de 120 habitants !), soit par Jean Faure (le nombre d'amateurs doit être un tout petit peu supérieur), soit une autre raison que j'ignore. Et j'aimerais bien savoir ! Je n'ai aucun regret de mon achat, je me suis fait plaisir, et c'est, je crois, le plus important.

Le premier guide touristique de l'Isère ?

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Grenoble

Le guide touristique tel que nous le connaissons s'est peu à peu défini au cours du XIXe siècle, jusqu'à ce qu'Adolphe Joanne lui donne la forme et la diffusion que l'on connaît. Pour le département de l'Isère, qui forme une partie du Dauphiné, on peut penser que le travail de Pierre Fissont et Auguste Vitu, paru en 1856, est le premier guide dans le sens moderne du temps :
Guide pittoresque et historique du voyageur dans le département de l'Isère et les localités circonvoisines.
Grenoble, Ferary, Libraire-Editeur, 1856


Auparavant, de nombreuses parties du département avait fait l'objet d'un guide, comme l'Oisans avec l'Essai descriptif sur l'Oisans, d'Aristide Albert et le Guide du voyageur dans l'Oisans, du docteur Joseph-Hyacinthe Roussillon, ou la Grande-Chartreuse. En revanche, pas son parti pris d’exhaustivité et sa présentation par itinéraires, ce guide est, à ma connaissance, le premier au sens moderne du terme.Il faudra ensuite attendre le premier tome du Guide du Dauphiné d'Adolphe Joanne en 1862 pour avoir un guide complet de la région.

Cet exemple de pages (avec un petit clin d’œil à un certain bibliomane moderne, qui comprendra) montre la présentation choisie, même si les villages décrits ici ne se distinguent pas par les monuments ou les curiosités naturelles.


Je vous laisse découvre ce guide sur la page que je lui est consacrée : cliquez-ici.

Il a aussi l'avantage d'être joliment illustré de 10 lithographies. Après celle en tête du message (et qui forme frontispice), je vous en présente 4 autres ici :

 La Grande-Chartreuse

Voiron

Le château de Valbonnais

Pont-en-Royans

Lorsque j'ai acheté l'ouvrage, c'est posé la question d'identifier les auteurs. Encore une fois, les ressources d'Internet se sont avérées précieuses. Auguste Vitu a été vite identifié (voir sa notice biographique sur Wikipédia).


En revanche, je me suis vite demandé comment et pourquoi cette personnalité très parisienne s'était ainsi intéressée à l'Isère. Une notice biographique plus fournie m'a appris qu'il avait d'abord fondé un journal à Grenoble en 1850, mais surtout qu'il y avait passé trois ans comme chef de cabinet du préfet Jean Bérard, de 1852 à 1855. Cela lui a probablement permis de rassembler les éléments administratifs et descriptifs que l'on trouve dans ce guide.

Pour P. Fissont, l’exercice était plus difficile car je n'ai trouvé aucune notice biographique et qu'il existait un doute sur le prénom : Pierre ? Paul ? Une personne ? Deux personnes ? J'ai donc rassemblé les éléments d'une esquisse de notice, basée sur les éléments collectés et sur certaines hypothèses (pour la voir, cliquez-ici). Il est toujours difficile de prendre comme hypothèse l'erreur d'un érudit aussi scrupuleux qu'Edmond Maignien, mais cela me semblait la seule possibilité.


Un nouvel ex-libris dauphinois.

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Un ouvrage que j'ai entrepris de décrire est orné d'un bel ex-libris (taille réelle) :


 Après quelques recherches sur Internet, je n'ai rien trouvé ni sur le propriétaire, ni sur cette bibliothèque. Je me suis donc retourné sur mes sources habituelles. Dans l'Armorial de Dauphiné, de Rivoire de la Bâtie, je n'ai trouvé qu'une personne dont le prénom commence par "R" dans la famille du Bouchage. J'ai donc fait l'hypothèse, qui reste à confirmer, que cet ex-libris est celui de Robert de Gratet, vicomte du Bouchage, né à Baccon (Loiret) le 16 avril 1825, fils de François Louis Gustave de Gratet, vicomte du Bouchage et de Amélie Flore Marie Bigot de la Touanne, propriétaires à Cornage (commune de Vizille, Isère). Il s'agit d'une ancienne famille dauphinoise, qui porte les armes qui apparaissent sur l'ex-libris, avec la devise "Tout à tout". Dernière preuve, cet ex-libris orne un ouvrage de 1859 : Uriage et ses envrions, d'Alexandre Michal-Ladichère, un lieu fort proche de Vizille où vivaient ses parents et peut-être lui-même.

J'ai ainsi enrichi la page que je consacre aux ex-libris dauphinois : cliquez-ici.

Quelques mots sur l'ouvrage qui porte cet ex-libris. C'est la deuxième édition de ce guide destiné à faire connaître et promouvoir l'établissement thermal d'Uriage, dans l'Isère, en même temps qu'il faisait découvrir cette région du Dauphiné. Il s'appuie pour cela sur un texte d'Alexandre Michal-Ladichère, avocat et homme politique grenoblois, et sur les illustrations du célèbre peintre et dessinateur dauphinois Alexandre Debelle. Pour découvrir l'ouvrage, cliquez-ici.



Une sélection de quelques gravures sur bois qui illustrent ce livre, d'après des dessins d'Alexandre Debelle :








Pour finir de faire de cet exemplaire un objet bien désirable, il est parfaitement relié, avec les plats en percaline portant un titre doré :



Alexandre Michal-Ladichère,  l'auteur, était presque un inconnu sur Intenet. J'ai rassemblé les éléments que j'ai glanés, jusque dans l'état civil en ligne, pour en présenter la première synthèse : cliquez-ici.

Alexandre Michal-Ladichère, par Victor Sappey

Un petit "vert" pour finir l'année !

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On me pardonnera ce jeu de mots pour présenter ma dernière acquisition (dernière acquisition de l'année, je ne sais, car il reste encore 9 jours !)

Un très joli exemplaire des Poésies en patois du Dauphiné, paru en 1840, vient de rejoindre ma bibliothèque. Qu'est-ce qui le distingue ? Tout simplement qu'il est entièrement vert.


Non seulement il est imprimé sur un beau papier vert :


Mais le cartonnage de l'éditeur est recouvert de papier vert, orné d'un beau motif imprimé.



Pour ne pas déparer, le papier des contre-plats et des pages de gardes est vert. Même le catalogue du libraire en fin d'ouvrage est sur papier vert.

C'était un usage courant de proposer à la vente des ouvrages sur des papiers de couleur (j'ai des ouvrages sur papier rose, jaune et bleu). C'était une forme de tirage de tête. Comme on le voit dans l'avis que Paul Colomb de Batines insère dans le Feuilleton du journal de la librairie, n° 26, samedi 26 juin 1841, pour annoncer les ouvrages qu'il propose à la vente : 


Il n'y a que 10 exemplaires sur papier de couleur (dont celui-ci et celui du fonds dauphinois de la Bibliothèque Municipale de Grenoble), dont le prix unitaire est 8 fois celui des exemplaires sur papier commun.

Je vous laisse découvrir l'ouvrage et sa place dans la mise en valeur des "patois" du Dauphiné, sur la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici.

Cet ouvrage est le fruit de la collaboration d'un imprimeur grenblois, Evariste Prudhomme, et d'un bibliographie, bibliophile et libraire haut-alpin, Paul Colomb de Batines, personnage au destin chaotique qui mit son énergie à défendre la bibliographie dauphinoise, à un moment où elle était balbutiante. Pour en savoir plus, cliquez-ici.

J'en profite pour signaler et saluer la naissance d'un nouveau blog : Histoire de la Bibliophilie, de Jean-Paul Fontaine. Dans un des commentaires qui accompagnait le premier billet, j'ai cru, peut-être, me reconnaître dans ces quelques lignes de l'auteur :

" En outre, il me paraît indispensable d'échanger les avis et informations avec des lecteurs aussi avertis et cultivés que ceux que je lis depuis quelques années sur leurs blogs, pour mieux cerner un domaine immense qui, les événements contemporains le démontrent tous les jours, semble se réduire et revenir aux règles et habitudes anciennes d'un milieu privilégié : serions-nous, en effet,en train de vivre la renaissance d'une bibliophilie de qualité, qui s'était en quelque sorte perdue,et qui avait perdu ses repères, sous prétexte de démocratisation illusoire ?"

Peut-être qu'un jour il nous gratifiera d'un billet savant sur Paul Colomb de Batines (quelque chose me dit que cela pourrait arriver....)

Quelques agendas P.L.M.

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Quoi de mieux, pour commencer l'année, que de présenter des agendas ?



Avant d'entrer dans le vif du sujet, je présente mes meilleurs vœux à mes lecteurs. Même s'ils sont peu nombreux, je les sais fidèles et toujours intéressés. Puisse l'année 2013 me voir continuer mon travail de bénédictin au profit du livre et de l'histoire de mon pays et de mes montagnes ! Pour mes lecteurs, qu'ils vivent leurs passions dans la joie et l'accomplissement.

Pour revenir aux agendas, je vous présente trois agendas P.L.M. Ce sont des hasards (et donc des achats) récents qui m'ont fait découvrir ces agendas. Pour mon thème de prédilection, c'est une source d'illustrations de qualité. Je présenterai ci-dessous quelques exemples choisis. Mais, ce sont aussi de beaux objets, représentatifs du style de leur époque. Je retiens particulièrement celui de 1928 avec le beau motif art déco de sa couverture :


et de sa page de garde :

 
A ma connaissance (mais peut-être qu'un de mes lecteurs pourra me détromper), il n'existe pas de monographie ou d'étude sur ces agendas. Je n'ai même pas pu trouver de façon certaine les dates extrêmes de parution. Paradoxalement, pour un ouvrage qui semble avoir bénéficié de tirages assez importants (ils sont courants sur le marché), les bibliothèques publiques possèdent peu d'exemplaires. Peut-être qu'à l'époque de leur parution, ils étaient considérés comme des objets éphémères, ne méritant pas d'être conservés en bibliothèque. Au CCFr, on trouve des agendas de 1911 à 1931. C'est la BNF qui semble avoir la collection la plus complète. Au CCFr, il manque les années 1917, 1918, 1920, 1927 et 1930. Est-ce que ce sont des lacunes dans les collections ou ces années n'existent pas ?

Et maintenant, la sélection d'illustrations :

 La couverture de l'agenda 1913, avec La Meije

Une planche de l'agenda 1913 : La Casse Déserte, pastel de H. Jourdain

Première page de l'article L'Oisans, d'Henri Ferrand, dans l'agenda 1913

La Meije en été, par Julien Lacaze (Agenda P.L.M. 1924)

Briançon, porte d'Embrun, par G. Belnet (Agenda P.L.M. 1924)


Une page de l'Agenda P.L.M. de 1924, avec une vue de la Meije par G. Belnet
 
Mont-Dauphin – Guillestre, par Alfred Rigny (Agenda P.L.M. 1928)

Glacier de la Meije, par Julien Lacaze(Agenda P.L.M. 1928)

La Meije, par Roger Broders (Agenda P.L.M. 1928)

Comme toujours, pour aller plus loin, vous pouvez vous rendre à la page que je leur consacre : cliquez-ici.

Le maître d'école briançonnais

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Ecoutons Victor Hugo, au début des Misérables :
Aux villages où il ne trouvait pas de maître d'école, il citait encore ceux de Queyras : — Savez-vous comment ils font? disait-il. Comme un petit pays de douze et quinze feux ne peut pas toujours nourrir un magister, ils ont des maîtres d'école payés par toute la vallée, qui parcourent les villages, passant huit jours dans celui-ci, dix dans celui-là, et enseignent. Ces magister vont aux foires où je les ai vus. On les reconnaît à des plumes à écrire qu'ils portent dans la ganse de leur chapeau. Ceux qui n'enseignent qu'à lire ont une plume; ceux qui enseignent la lecture et le calcul ont deux plumes; ceux qui enseignent la lecture, le calcul et le latin ont trois plumes. Ceux-là sont de grands savants. Mais quelle honte d'être ignorants? Faites comme les gens de Queyras.
Cette gravure contemporaine nous permet d'imaginer à quoi pouvait ressembler ces instituteurs ambulants, au moment où, nous le verrons plus loin, cet usage était en train de disparaître.


Elle est extraite de l'ouvrage : Les Français peints par eux-mêmes ou Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle, publié entre 1840 et 1842 par l'éditeur Léon Curmer, en 423 livraisons. C'est une épreuve coloriée à la main et gommée à l'époque.

Le baron Ladoucette, ancien préfet des Hautes-Alpes, présente cette émigration si caractéristique des montagnes dauphinoises dans son Histoire, topographie, antiquités, usages, dialectes des Hautes-Alpes, 1848 :
L'émigration périodique des pays froids paraît avoir existé de tout temps. C'est ainsi que les Savoyards se répandent en France, et les Tyroliens en Italie. [...]
Quoi qu'il en soit de ces traditions, voici quelques renseignements assez curieux sur les émigrations périodiques des Hautes-Alpes. Le nombre des voyageurs est plutôt en raison de leurs besoins que de la rigueur des hivers; suivant les calculs que nous avons faits en 1807 et 1808, il s'éleva à 4,319, dont la moitié du Briançonnais, et le tiers du Gapençais. C'étaient 705 instituteurs, 428 colporteurs, 501 peigneurs de chanvre, 245 bergers, 469 charretiers de ferme ou terrassiers, 256 marchands de fromages, 28 mégissiers, 85 charcutiers, 404 aiguiseurs, 25 voituriers, 6 porteurs de marmottes, 649 exerçant diverses professions, tels que tisserands, cordonniers, tailleurs, marchands de parasols, teinturiers, ouvriers en savon, tondeurs de laine. Ils ont rapporté chez eux, dans chacune de ces années, plus de 900,000 francs. [...]
Parmi les instituteurs, il en est, âgés seulement de quinze à dix-huit ans, qui ne ramassent que 50 à 100 fr.; ceux qui ont plus d'expérience et de lumières rentrent avec 400 fr. et au delà. Lorsqu'ils sont engagés, ils ôtent la plume qui était fichée sur leur chapeau. Le nombre des instituteurs n'est pas si considérable depuis trente ans; la seule Vallouise, qui en fournissait 240, n'en voit plus sortir que 70. La cessation des écoles, pendant les troubles révolutionnaires, en est une cause principale; d'ailleurs les jeunes gens s'adonnent plutôt au colportage, qui offre plus de ressources à l'esprit d'intérêt, à la vanité, et qui exige une conduite moins morale. Des colporteurs font jusqu'à 4,200 fr. de bénéfice; mais ceux ci sont en très petit nombre. [...]
Une partie des instituteurs se rend dans la Provence, le comtat Venaissin et le Languedoc; l'autre dans le Bas-Dauphiné et le Lyonnais.
Ce que ne dit pas Ladoucette, c'est que cette émigration des Briançonnais comme maîtres d'école n'était rendu possible que par le haut niveau d'instruction de l'ensemble de la population. Il était de tradition ancestrale que tous les enfants reçoivent un bon niveau d'instruction qui faisait de cette région l'une des plus instruites de France. Dès avant la Révolution, la grande majorité des hommes savait lire et écrire, ce qui permettait à beaucoup d'entre eux de pouvoir ensuite émigrer comme maître d'école, plutôt que comme journaliers, pour ceux qui ne disposaient pas des ressources nécessaires pour s'établir dans le commerce.

Comme le raconte Victor Hugo et le représente la gravure, ils allaient dans les foires avec un plume au chapeau. Cette autre évocation par le préfet Bonnaire en l'an IX (1801) :
C'est même une chose curieuse que de voir, dans les foires considérables de l'automne, ces instituteurs, couverts d'habits grossiers, se promener dans la foule et au milieu des bestiaux de toute espèce, ayant sur leur chapeau une plume qui indique, et leur état, et leur volonté de se louer pour l'hiver, moyennant un prix convenu. Ces bonnes gens donnent de nombreuses leçons pendant tout le cours de la journée; dans les intervalles, ils rendent à peu près autant de services que des domestiques à gages, et on est surpris du très léger salaire qu'ils demandent pour tant de peines.
Mais le témoignage le plus intéressant et, là encore, celui de Victor Lagier, le futur libraire. Après avoir exercé comme instituteur dans sa région natale (il n'est pas à proprement parler briançonnais, mais venait du Gapençais), il décide de tenter la fortune en utilisant son seul bien : son instruction (ses parents avaient même envisagé de le faire entrer dans les ordres).
Comme les marins qui ne se plaisent qu'en mer, je m'embarquai de nouveau, dès que ma santé le permit, à la recherche d'un emploi d'instituteur dans les parages situés entre l'Isère et le Rhône. Cette fois, je partais avec le dessein bien arrête de ne plus rentrer au pays avant de m'être au moins fiancé à la fortune. Touchant l'âge où il fallait songer à se suffire, j'étais résolu à ne compter que sur moi seul, et à voler désormais de mes propres ailes.
C'est dans l'automne de 1804 [il va avoir 16 ans] que je dis adieu pour toujours à mes chères montagnes. [...]
Mon père m'avait confié à huit jeunes gens du voisinage, plus âgés que moi, se destinant à l'enseignement, et dont l'un, pourvu d'une place dès l'hiver précédent, nous servait de guide. Nous cheminions à pied, le sac au dos, portant sur nos tricornes, en guise de panache, la plume d'oie traditionnelle, insigne de notre profession. Nous avions plus de quarante lieues à faire pour arriver à notre destination. Nous marchions pas relevé, tête haute, comme il convenait à des Chevaliers de la plume, rêvant la gloire d'entrer en lice pour enseigner l'alphabet et l'écriture aux petits citoyens du nouvel Empire.
J'étais le plus jeune et le moins apparent de la bande à cause de ma petite taille et de ma mine de convalescent. Mes camarades, superbes de prestance et contents d'eux, ne tarissaient pas en plaisanteries sur mes prochains succès, offrant même à parier que je rentrerais bredouille au pays. J'étais sans illusion, mais, fatigué de risées que je n'avais rien fait pour provoquer, je soutins que si l'on nous jugeait autrement qu'à la taille et au poids, je passerais avant eux.
Nous arrivâmes ainsi au village de La Balme [en Savoie], célèbre par ses grottes. Ce fut la première commune où nous nous présentâmes aux notables et au Curé. On nous réunit dans la salle de la Mairie, où monsieur le Curé, monsieur le Maire et sa femme nous examinèrent. On nous fit lire, écrire et calculer; on nous interrogea sur le catéchisme; mais on nous fit grâce de la grammaire que nous ne connaissions guère que de routine, et dont l'enseignement était trop avancé, aussi bien pour les maîtres que pour les écoliers.
Je ne tardais pas à remarquer que mon air et mon petit savoir plaisaient à nos juges, mais qu'ils regrettaient que je fusse trop jeune et trop chétif pour m'imposer aux enfants. Cependant, avant de se prononcer, ils adressèrent encore quelques questions à mes camarades, et le résultat de cette dernière épreuve fut décisif. Je fus admis à l'unanimité. J'ôtai la plume de mon chapeau, et cette victoire mit fin aux railleries de mes compagnons. David avait battu Goliath.
Les camarades durent chercher fortune ailleurs, et avant d'entrer en fonction, je les accompagnai pendant quelques jours dans les communes environnantes. Mon triomphe m'avait grandi à leurs yeux. Je marchais en tête avec notre guide, et j'avais l'honneur de porter la parole pour les présenter aux notables du pays.
Rentré à La Balme, je fis l'école jusqu'à Pâque [1805] dans cette charmante commune, à la satisfaction, je crois, des habitants et même de monsieur le Curé, quoique je ne lui fusse d'aucun secours pour le lutrin. Ils m'engagèrent à leur écrire et à revenir l'automne suivant. Mon petit pécule s'y était arrondi. Indépendamment de ma classe, j'avais donné beaucoup de leçons particulières à des artisans, à des chefs ouvriers et des cultivateurs aisés, dont la reconnaissance n'avait pas nui à ma recette.
Cela pouvait aussi mal se terminer, comme pour cet instituteur de Névache, Jean François Rostolland, âgé de 30 ans, décédé loin de chez lui, à Cerdon dans l'Ain, en mars 1829. Il était accompagné de deux autres instituteurs ambulants.


Les lois Guizot de 1833, qui organisèrent l'enseignement primaire en France, furent fatales à cette activité. En effet, il n'était plus possible d'enseigner sans un brevet. Certains s'orientèrent donc vers l'enseignement, comme le fils de Jean François Rostolland qui sera professeur à l'Ecole Normale de Privas. Pour les autres, il restait les activités traditionnelles de l'émigration montagnarde comme le colportage.

Sauf erreur de ma part, il n'existe pas d'étude sur cet usage propre, me semble-t-il, aux Alpes dauphinoises. Seul le briançonnais Aristide Albert a fait paraître une petite plaquette en 1874 : 
Le maître d'école briançonnais. Les Briançonnais libraires, Grenoble, Allier, 1874
Il s'agit plus de rappeler un usage ancien qu'une étude à proprement parler.


Pour finir, cette petite histoire, rapportée par Aristide Albert, qui est presque un conte de noël :
Peu d'années avant 1789, un jeune instituteur de bonne mine descendait, un jour de foire, la plume au chapeau, la grande rue de Briançon. Il fut abordé par M. C.-S., riche négociant, et pour lors premier consul de la ville : « Te voilà donc décidé à devenir maître d'école, dit au jeune homme le magistrat municipal; tu pourrais faire mieux, je crois, dans le commerce au dehors. »
Le jeune maître d'école connaissait d'expérience la bienveillance de son respectable interlocuteur. « Je ne demanderais pas mieux, répondit-il, d'émigrer pour le commerce, mais les avances me manquent, toutes réduites soient-elles... » — « Je serai ton prêteur, j'ai confiance en ton intelligence, en ta probité; ôte cette plume de ton chapeau. » Ainsi il fut fait.
Vingt-cinq ans plus tard, le jeune instituteur Bompard (du Bez, commune de la Salle), était l'un des riches négociants de Metz, où il s'était fixé tout à fait. Il a été la souche de la famille lorraine des Bompard qui a donné au pays des officiers distingués, des négociants, un député au Corps législatif; famille qui est en possession à Metz et à Nancy, où l'une des branches s'est établie, de la considération universelle. 

Ephemera dauphinois

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J'ai déjà eu l'occasion de présenter quelques Ephemera dauphinois (cliquez-ici). J'aime ce terme qui décrit "Toute trace imprimée appelée par sa vocation d'actualité ou de confidentialité à un avenir incertain. Publications de circonstances telles que canards, placards, affichettes, occasionnels mais aussi livres interdits, petits périodiques à diffusion confidentielle et sans lendemain, etc." (Manuel de Bibliophilie. Dictionnaire., Christian Galantaris). Ce mot semble plus utilisé en anglais qu'en français.

Si, pour le Dauphiné, les Ephemera que je présente sont souvent des plaquettes touristiques, des dépliants vantant la région, il n'est pas interdit de penser qu'il y a des "livres interdits". Ceux que je présente aujourd'hui sont de la première catégorie.

A ce mot Ephemera, j'aime aussi associer des mots comme hasard ou chine, car je ne collectionne pas de façon systématique ces petits documents qui ont traversé le temps, mais je me laisse séduire par eux, aux hasard de mes pérégrinations livresques et bibliophiliques.

En voici quelques uns :

Circuit des 4 grands cols, par A. Allemand-Martin, Grenoble, Editions de la Revue "les Alpes", 1945, qui décrit un circuit touristique en Oisans par les col du Glandon, col de la Croix-de-Fer, col du Lautaret et col du Galibier.


Couverture, avec une vue de la Meije depuis le col du Lautaret.


Page de titre

Un petit dépliant de la compagnie des chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée (P.L.M) annonçant les horaires des trains et des excursions dans les Alpes dauphinoises, pour l'été 1909. La première page de ce dépliant porte une belle représentation de la Meije par E. Brun :



Ces deux gravures, reprenant des photos colorisées, représentent La Meije, depuis la Bréche :


Le massif de la Meije avec le Lautaret au premier plan :


Je n'ai pas déterminé la provenance de ces gravures d'après des photos colorisées.

Pour finir, deux belles photos anciennes (vers 1900), qui représentent la face sud de la Meije.


Sur cette dernière photo, un œil attentif peut se demander qui est l'homme du premier plan. Pour ceux qui connaissent l'histoire du massif, un doute s'installe : 

La tenue, la posture ne laissent pas beaucoup de doute. Ne croit-on par reconnaître le père Gaspard, le premier vainqueur de la Meije le 16 août 1877. Cette gravure de Jean Chièze dans Montagnards de Allix, 1935 (voir ici) nous le montre devant la même face :


Pour finir ce message, autre phénomène éphémère : la neige à Paris. Aujourd'hui, Paris est sous la neige et il continue de neiger faiblement. Je n'ai pas vu autant de neige sur mon balcon depuis que j'habite mon appartement, soit depuis 18 ans. Cette photo vous donnera une idée, certes faible, du paysage depuis chez moi (au fond le cimetière Monmartre, qui abritent les tombes de deux grands dauphinois : Stendhal et Berlioz) :

Mais où est donc passé Hannibal ?

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Loin de moi l'idée de résoudre cette question qui divise les érudits depuis près de 500 ans, question d'autant plus difficile à résoudre que les textes de référence de Polybe et Tite-Live sont contradictoires entre eux. La bibliographie sur le sujet doit d'ailleurs être impressionnante.

Quasiment tous les cols des Alpes depuis la Méditerranée jusqu'au Léman ont trouvé leurs défenseurs. En complément, toutes les routes ont été envisagées pour rejoindre le col pressenti depuis le Rhône.

Le Dauphiné n'est pas en reste, car tous les grands cols du Dauphiné, qui se trouvent tous dans les Hautes-Alpes, ont tour à tour été envisagés. Le plus couramment évoqué, depuis le début des recherches, est bien entendu le col du Mont-Genèvre, un des cols majeurs qui permettent de rejoindre la France à l'Italie. Cette hypothèse est d'autant plus crédible qu'il s'agit du col de plus basse altitude entre les deux pays. Ce n'est pas le seul col envisagé dans la région. Le col de la Traversette, près du Viso, a trouvé depuis longtemps ses partisans, mais on peut aussi citer le col de Malaure ou le col de l'Echelle. De même, si la route par la vallée de la Durance est la plus couramment admise pour rejoindre le Mont-Genèvre, il existe aussi une grande variété d'hypothèses, dont certaines par le col du Lautaret.

Pour ma part, je n'ai pas d'opinion arrêtée, donc je suis partisan de l'hypothèse du col du Mont-Genèvre. Remarquez que ce ne sont pas de longues veilles sur les textes de Polybe et Tite-Live qui m'ont fait arriver à cette conclusion, mais un (regrettable ?) parti pris en faveur de mes montagnes.

Tout cela pour introduire un ouvrage rare d'un polygraphe avignonnais, le comte Fortia d'Urban qui défendit dès 1818 l'hypothèse du Mont-Genèvre, par la vallée de la Durance. En 3 ans, il donna pas moins de 3 éditions à son ouvrage, dont je décris la 3eédition : 
Dissertation sur le passage du Rhône et des Alpes par Annibal, l'an 218 avant notre ère.
Troisième édition, accompagnée d'une carte; suivie de nouvelles observations sur les deux dernières campagnes de Louis XIV, et d'une dissertation sur le mariage du célèbre Molière.
Paris, Lebègue, Treuttel et Wurtz, Libraires, novembre 1821, in-8°, [4]-XXXII-177 pp., une carte dépliante hors texte.


Revenant aux textes de Polybe et Tite-Live, Fortia d'Urban détermine le lieu du passage du Rhône (Roquemaure), l'île des Allobroges (Orange) et le trajet jusqu'à Turin, en procédant à une analyse fine du texte et des indications de distances qu'ils contiennent. Il conclut à une traversée des Hautes-Alpes passant par la Bâtie Mont-Saléon (Mons-Seleucus), la vallée de la Durance et le Mont-Genèvre. Manifestement, certaines des conclusions sur le passage du Rhône et l'île des Allobroges ne sont plus retenues. Le mérite du comte de Fortia d'Urban est de s'être référé "aux manuscrits sans s'arrêter aux textes imprimés tendancieux" comme le souligne Sir Gavin De Beer, dans Route Annibal, 1962 : « Malheureusement, les commentateurs se sont engagés dès le départ dans une impasse, parce que les passages-clés des principaux auteur, Polybe et Tite-Live, quand ils ont été imprimés, ont été délibérément altérés par les premiers éditeurs, qui les ont ajustés à leurs idées personnelles. »

La belle carte  qui accompagne l'ouvrage permet de voir le tracé envisagé par Fortia d'Urban.


Pour aller plus loin, comme toujours, la page plus complète que je consacre à l'ouvrage : cliquez-ici.


Au passage, vous aurez remarqué, en lisant attentivement le titre, que cet ouvrage ne traite pas seulement du passage des Alpes par Hannibal, mais en profite pour corriger quelques faits à propos de l'histoire de Louis XIV (quel rapport ? aucun !). Comme si cela n'était pas suffisant, une petite dissertation sur l'épouse de Molière, Armande Béjart, n'est pas de trop pour arriver aux 177 pages. Vous comprenez maintenant pourquoi je qualifie le comte (devenu ensuite marquis) de Fortia d'Urban de polygraphe.

Je rappelle à la mémoire de mes lecteurs qu'en 1824 et 1825, William Brockedon parcourt 12 cols entre la France, la Suisse et l'Italie à la recherche du passage d'Hannibal dans les Alpes. Il consigne ses descriptions dans un ouvrage largement illustré paru en 1828 : Illustrations of the Passes of the Alps by witch Italy communicates with France, Switzerland and Germany. J'en extrais cette vue du col de Mont-genèvre, sur la partie qui descend en Italie (la route que l'on voit n'existait pas pour les éléphants d'Hannibal !)


Sur le passage d'Hannibal, je vous renvoie à un billet sur le tour du Mont Viso (cliquez-ici) où j'évoquais l'hypothèse du passage par le col de la Traversette. Pour avoir gravi moi-même ce col, lors de cette randonnée, j'exprimais mon scepticisme : " Pour ma part, je n'ai pas d'opinion fixée sur le passage d'Hannibal à travers les Alpes, mais j'ai trouvé que la montée et la descente [du col de la Traversette] étaient bien rudes, alors j'ai du mal à imaginer les éléphants d'Hannibal sur ce chemin !"


 Le col de la Traversette en août 2009

Un 4e exemplaire de Zizimi, Prince ottoman, de Guy Allard, 1673

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J'ai récemment reçu un mail d'un lecteur de mon blog qui me présentait son exemplaire de Zizimi, prince Ottoman, de Guy Allard, paru à Grenoble en 1673. Pour ceux qui n'ont pas suivi attentivement ce blog, ils ne se souviendront pas de mon intérêt particulier pour cet ouvrage dont je possède déjà 2 exemplaires. Un des exemplaires est celui de Charles Nodier, dans une magnifique reliure de Niedrée. De plus, j'ai eu les honneurs d'un article de la Gazette de Drouot (pour voir, cliquez-ici). Pour rafraîchir la mémoire de mes lecteurs, je remets quelques photos de l'exemplaire Nodier :



Je possède aussi un exemplaire de la bibliothèque Lanteleme.

Si l'on en croit Charles Nodier, dans une petite notule manuscrite de son exemplaire, il n'existerait que deux exemplaires dans les bibliothèques dauphinoises :


J'ai déjà signalé un 3e exemplaire passé en vente sur catalogue il y a quelques années.

 
Pour faire encore plus mentir Nodier (et grâce à Internet), je vous présente le 4e exemplaire connu (au moins connu de moi et sans compter ceux que l'on trouve dans les bibliothèques publiques, comme la BNF ou la BMG).



Qu'a-t-il de particulier ? Il porte un envoi de Guy Allard (de sa main ?) à une certaine madame de Pragentil.



Lorsqu'on sait la rareté des envois d'auteur au XVIIe siècle, on trouvera d'autant plus de prix à cet exemplaire.

De plus, comme je l'ai signalé, il existe deux orthographes au titre pour le prénom Hélène : "Heleine" et "Helene". Cet exemplaire porte la première orthographe fautive :



Quand à la personne destinataire de cet envoi, il est difficile de l'identifier. En Dauphiné, au milieu du XVIIe siècle, il n'existait qu'une seule famille portant ce nom, les Gras de Prégentil (ou Pragentil). Guy Allard la cite dans son nobiliaire, avec l'orthographe Pragentil, sans donner plus de renseignements. Prégentil se trouve dans les Hautes-Alpes, sur la commune de Saint-Jean-Saint-Nicolas, dans le Champsaur, mais la famille Gras, qui avait hérité de cette seigneurie, était quant à elle originaire du Valgaudemar.
J'ai trouvé quelques généalogies de cette famille, mais il est bien difficile d'identifier la dame à qui a été dédié cet exemplaire.
Généalogie I
Généalogie II
Généalogie III

Pour revenir à Zizimi, Prince ottoman, je vous renvoie à l'article que je lui ai consacré : cliquez-ici.

Oisans : un beau dépliant touristique de 2 mètres de long

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M’éloignant un peu de la bibliophilie traditionnelle, mais restant toujours attaché à mon thème de prédilection, j'ai mis récemment la main sur un dépliant touristique de 1896, qui représente le déroulé du paysage depuis la route de Grenoble (Vizille, pour être précis) à Briançon, sur une centaine de kilomètres. L'intérêt est bien évidemment de représenter les montagnes de la région, c'est à dire la bordure nord du massif des Ecrins (ou de l'Oisans).

Il se présente sous forme d'une petite plaquette (22 x 11 cm), illustrée d'un côté par une vue de la Meije depuis la Grave, avec le titre complet : Dépliant alpestre. Excursion en Oisans. Grenoble, Vizille, le Bourg d'Oisans, le Freney, la Grave, le Lautaret, Briançon. Projection sur 100 kilomètres des sommets du massif.


Le verso contient une carte et l'indication de l'imprimeur.



Totalement déplié, il mesure plus de 2 mètres de long (216,5 cm.). Je l'ai totalement scané et j'ai ainsi pu le reconstituer complétement dans tout son déroulé.



Vous pouvez le télécharger en version haute-définition (cliquez-ici, attention 17 Mo).

Ce qui frappe le plus est une certaine naïveté dans le dessin, qui n'enlève rien au charme de l'objet, voire lui en donne un supérieur. Cette représentation de la Meije en est une bonne illustration. La fidélité abosolue n'a pas été recherchée par l'illustrateur.



Parlant d'illustrateur, qui est donc l'auteur de ce panorama ?
Il faut de bons yeux pour distinguer son nom sur la première couverture : "Dessiné par Louis Guerry"



Quelques recherches plus tard (Google, Gallica, BNF, CCFr), le résultat est maigre :

Un dépliant similaire, probablement à la même date : 
Excursion au couvent de la Grande Chartreuse : Grenoble, Voiron, Saint-Laurent, Le Couvent, St-Pierre, le Sappey, Grenoble. Projection sur 200 kilomètres des sommets du massif. Grenoble, J. Baratier, s.d.

Une carte du même massif de la Grande-Chartreuse :
Massif de la Grande-Chartreuse. Carte du touriste. Chemin de fer Voiron St-Béron, 1/100. 000, dessiné par Louis Guerry - Annecy, Grenoble, J. Baratier, [1897], 1 feuille (61 x 39 cm). (source : Gallica)



Visiblement installée à Annecy, il en a donné une carte :
Annecy plan de la ville mis à jour 50 (cinquante) ans après la réunion de la Savoie à la France, Genève, Lith. Sonor, [1910], 1 plan en coul., 1095 x 1073 mm.

Enfin, dans un genre très différent, une affiche sur la Palestine :
P. L. M., Palestine, Bethléem
[S.l.] : [s.n.] , [1898] ([Paris] : [F. Hugo d'Alési]), 1 est. lithogr. en coul. 106 x 75 cm


On en conclut qu'il a été actif de 1896 à 1910. Sinon, pas plus de renseignements, mais il ne faut évidemment pas le confondre avec un autre Louis Guerry (1898-1981), auteur de L’antisémitisme stalinien.

Pour aller plus loin :
Excursion en Oisans, Louis Guerry
Louis Guerry

Ornithologie du Dauphiné, d'Hippolyte Bouteille, 1843

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En 1843, le pharmacien grenoblois Hippolyte Bouteille s'associe à Eugène de Rivoire, marquis de La Batie, "agronome distingué" et à Victor Cassien pour faire paraître en 2 volumes un inventaire de plus de 300 espèces d'oiseaux observables dans l'Isère, la Drôme et les Hautes-Alpes, illustré de 72 planches lithographiques d'après des dessins de Victor Cassien.

C'est l'exemplaire personnel d'Eugène de Rivoire de la Batie qui vient de rejoindre ma bibliothèque.


On distingue son supralibris au chiffre E. de R. L. doré au centre des plats supérieurs. L'ouvrage a ensuite appartenu à la bibliothèque ornithologique de Paul Lebaudy :


C'est un ouvrage relativement courant, très recherché pour ses illustrations : "Une des plus intéressantes parmi les faunes locales est certainement l'Ornithologie du Dauphiné avec des figures dues au crayon tout à la fois si pur et d'une expression si suave du dauphinois Victor Cassien. Délicatement reproduites (lithographies de C. Pégeron) d'après nature et agrémentées souvent d'un paysage quelque peu romantique, elles sont d'un effet très doux, bien que les oiseaux soient de formes très élancées. Les 300 sujets représentent, en 72 planches, un spécimen de chacune des espèces décrites."(Ronsil, L'art français dans le livre d'oiseau. p. 67, n° 361)


Grenoble, Hip. Bouteille, Pharmacien et les principaux libraires de la ville, 1843, in-8°, 2 volumes :
- 416 pp, 37 planches lithographiques hors texte
- 358 pp, 35 planches lithographiques hors texte, un tableau dépliant hors texte in fine.

Cette sélection de 4 planches parmi 72 donne une idée précise de la qualité et de la beauté des lithographies de Victor Cassien :





Voici ce qu'en dit le rédacteur du catalogue de la vente Perrin (n° 114) : "Nous ne craignons pas de donner cet ouvrage comme l'œuvre la plus fine du crayon de V. Cassien. Dans les paysages de l'Album duDauphiné et de l'Album du Vivarais, l'auteur put – chose permise – faire quelques pas à côté du sentier, souvent un peu aride, de la réalité : il put, ici, planter un arbre absentet, là, enlever un bloc de rocher présent, parce que celui ci gatait et que celui-là faisait le tableau, mais dans l'Ornithologie il dut rester simplement et rigoureusement copiste de la Nature et il le fut avec une délicatesse remarquable."

Il existe quelques exemplaires avec les gravures tirées sur chine. L'exemplaire d'Eugène de Rivoire de La Batie en fait partie. Il y a aussi de très rares exemplaires aux gravures rehaussées de couleurs et gommées d'époque.

Les lithographies ci-dessus proviennent d'un deuxième exemplaire que je possède, dans une jolie reliure romantique. Surtout, comme on peut le voir,  c'est un exemplaire dénué de rousseurs.


Deux après la parution  de cet ouvrage, Hippolyte Bouteille en a donné une version courte, essentiellement destinée aux taxidermistes, avec les 72 planches de l'édition originale :
Manuel de l'ornithologiste préparateur, contenant la collection complète des oiseaux du Dauphiné dessinés par V. Cassien.
Grenoble, Chez H. Bouteille, 1845, 36 pp., 72 planches.


Il reproduit les pages introductives du premier volume (Classe des Oiseaux, Anatomie et physiologie et Taxidermie), complétés par l'ensemble des planches de l'ouvrage. Certains exemplaires se présentent sous un cartonnage d'éditeur, orné de motifs romantiques dorés, comme celui que je possède.


Pour aller plus loin, reportez-vous aux notices de l'Ornithologie du Dauphiné (cliquez-ici) et du Manuel de l'ornithologiste préparateur (cliquez-ici).

Pour finir, la description de ces ouvrages ont été l'occasion de faire une recherche sur Eugène de Rivoire, marquis de La Batie. Premier défi, trouver ses dates et lieux de naissance et décès. Adolphe Rochas donne la date du 13 septembre 1785, sans précision de lieu. Sur Internet (Geneanet et autres), on trouve indifféremment Grenoble et Bourgoin comme lieu de naissance. Lors de son premier mariage (Lyon, 12 mai 1824), il est dit être né à Bourgoin le 17 septembre 1789 et lors de son second mariage (Proulieu (Ain), 10 mais 1841), le lieu et la date sont Bourgoin le 23 août 178... et la fin de la date n'est pas lisible sur le registre numérisé ! Pour le décès, on trouve généralement Bourgoin, le 31 janvier 1879. Des recherches dans les registres paroissiaux et l'état civil permettent d'affirmer qu'il est né le 17 septembre 1785 à Grenoble, sur la paroisse Saint-Hugues, et qu'il est décédé aux Eparres (Isère) le 31 janvier 1879, à 93 ans. Il est le père du célèbre auteur de l'Armorial de Dauphiné, Gustave de Ravoire de La Batie. J'aurais ainsi modestement contribué à rétablir quelques vérités !
Pour en savoir plus, cliquez-ici.

Albert de Rochas d'Aiglun (1837-1914), ses livres, sa bibliothèque.

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Un mail récent d'un ami bibliophile m'a inspiré ce week-end pour décrire l'exemplaire personnel d'Albert de Rochas d'Aiglun de son ouvrage : Patois des Alpes cottiennes (Briançonnais et vallées vaudoises) et en particulier du Queyras, publié en collaboration avec Jean-Armand Chabrand en 1877.



Au-delà de l'intérêt purement bibliophilique de posséder ainsi un exemplaire sur papier de Hollande (B.F.K) dans une reliure aux armes, c'est aussi un ouvrage indispensable pour la connaissance du provençal haut-alpin. A l'origine, c'est le souhait de Jean-Armand Chabrand de préserver la connaissance de la variante spécifiquement parlée dans son pays natal, le Queyras. Il a ainsi recensé 3114 mots, qu'il a complété d'une grammaire. Cela en fait le premier ouvrage sur le "patois" des Hautes-Alpes. Albert de Rochas d'Aiglun y a contribué par son Recueil méthodique et étymologique des noms de lieux du Queyras et des contrées contigües, selon un classement méthodique : forme du terrain, nature du terrain, eau, végétaux, animaux, constructions, etc. Il répondait ainsi à un vœu qu'il avait émis lors d'une lecture devant l'Académie delphinale en 1874 : De l'utilité d'unglossaire topographique. Il souhaitait la mise en place d'un glossaire topographique qui donnerait tous les termes désignant des caractéristique de lieux en dialectes locaux. Pour cela, il faut étudier ces dialectes ou patois, alors qu'ils sont en train de disparaître, et rechercher les termes anciens dans les documents d'archives.




Pour en savoir plus sur cet ouvrage, je vous laisse découvrir la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici.

Une autre curiosité, c'est que j'ai réussi le rapprochement improbable de deux exemplaires dont les envois se répondent. Dans cet exemplaire, est relié en fin un tiré à part de la notice bibliographique de cet ouvrage par Florian Vallentin, avec un envoi de celui-ci à Albert de Rochas d'Aiglun :


Il se trouve, extraordinaire coïncidence, que je possède aussi l'exemplaire de Florian Vallentin de cet ouvrage avec un envoi d'Albert de Rochas d'Aiglun :



J'ai rangé les deux exemplaires de cet ouvrage qui se répondent, côte à côte dans ma bibliothèque.



Pour finir, quelques mots sur Albert de Rochas d'Aiglun. Ce polytechnicien, issu d'une ancienne famille gapençaise, plus notable que noble, a un moment donné délaissé l'érudition régionale (comme cet ouvrage) ou militaire, pour se consacrer à des études sur les phénomènes para-normaux : spiritisme, magnétisme, hypnose, etc. Aujourd'hui, il est surtout connu internationalement pour ces travaux. A notre connaissance, il n'existe pas d'études modernes sur ses recherches, ni de bibliographie complète de ses ouvrages.

Cette étrange photo, aujourd'hui conservée  à l'American Philosophical Society, le montre entouré d'un halo de force psychique.


Cette photographie plus classique nous le montre en habit militaire, en 1883 :


Il est aussi l'auteur du Livre de demain, dont un exemplaire vient d'être vendu : cliquez-ici.



On voit que c'est une personnalité aux multiples facettes. Pour mieux le connaître : cliquez-ici.
Pour en revenir au début du message, sa bibliothèque, visiblement assez riche, a été dispersée à une date inconnue. Les exemplaires de cette provenance portent diverses marques de possession :




C'est un des exemplaires de cette bibliothèque qui vient aussi de rejoindre celle de cet ami bibliophile.





Nos Alpins, par Eugène Tézier, 1898

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Dans l'atmosphère militariste et patriotique de la fin du XIXe siècle, l'illustration de montagne ne pouvait pas être absente du mouvement. Pour les Alpes, la figure emblématique est le chasseur alpin, le militaire qui combine l'amour de la montagne avec l'amour de la patrie. De nombreux livres lui sont consacrés (le plus célèbre est Au pays des Alpins, d'Henry Duhamel). En 1898, un illustrateur très actif dans le petit monde des alpinistes et touristes dauphinois, Eugène Tézier, leur consacre un album entier, illustré de ses dessins, que viennent agrémenter quelques courts textes d'Henri Second (un littérateur local), au ton généralement humoristique, même si la tonalité générale reste militaire et patriotique. Ce sont les libraires Félix Perrin et H. Falque, de la Librairie Dauphinoise, qui publie ce bel ouvrage, dont les couverture sont illustrées en couleurs :

 


Détail de la page de titre avec une vue de La Meije depuis le Lautaret :


Cette sélection de quelques pages illustre le style général tant des dessins que des textes :









Comme on peut le constater, il affectionnait les dessins en ombre chinoise.

Même l'achevé d'imprimer est illustré :



Pour en savoir plus, voir la page que je lui ai consacrée : cliquez-ici.

Avant d'entamer la description de cet ouvrage, mes connaissances sur Eugène Tézier étaient particulièrement fragmentaires. Elles l'étaient d'autant plus que l'on ne trouve aucune information sur Internet ou dans la documentation qu je possède sur les artistes dauphinois. Pourtant, son nom et ses illustrations apparaissent souvent dans le petit monde des alpinistes et touristes dauphinois de la fin du XIXe. Proche de Paul Guillemin, d'Emile Roux-Parassac, d'Henri Second et du libraire-éditeur grenoblois Félix Perrin, il a illustré nombre de leurs ouvrages ou publications, son activité se concentrant approximativement entre 1895 et 1905.

Je vous laisse découvrir toutes les informations que j'ai rassemblées dans la page que je lui consacre : cliquez-ici. Il me reste à trouver son décès. Né à Grenoble en 1865, on peut se demander s'il n'est pas mort jeune car on perd toute trace de son activité après 1906. 

En complément des illustrations de Nos Alpins, quelques exemples de ses illustrations (et de son style) :

Paul Guillemin


Charles Bertier

La première caravane d'Arcueil, 1879

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"Rien n'est meilleur pour le jeune homme que de voyager ainsi ; il fuit les amusements frivoles et énervants des grandes villes ; il fortifie son corps, enrichit son intelligence, élève son âme au milieu des émotions fortes et salutaires que fait naître la vue des montagnes."



La guerre de 1870 a eu un effet inattendu sur l'alpinisme. Le choc de la défaite a amené une part de la bourgeoisie éclairée à engager un effort de redressement national. Après la fête impériale, il fallait retrouver le goût de l'effort, de la discipline, le tout sur fond de patriotisme exacerbé. C'est, entre autres, ce programme que se sont donné les fondateurs du Club Alpin Français en 1874. Un effort particulier devait être fait en direction de la jeunesse. Une éducation trop tournée vers les choses de l'intellect au détriments des soins du corps a souvent été considéré comme une des causes d'une jeunesses moins vigoureuse que les jeunesses allemandes ou anglaises. C'est ainsi que le Club Alpin Français a lancé les caravanes scolaires. Ce sont des excursions organisées pour la jeunesse afin de faire découvrir la nature aux jeunes gens (les jeunes filles semblent exclues) et endurcir leur corps et leur esprit au contact de la montagne ou, tout simplement, des contraintes inhérentes aux voyages.

C'est ainsi que 11 élèves, encadrés par 2 pères dominicains de l'école Albert-le-Grand d'Arcueil, dans la banlieue parisienne, ont formé une caravane scolaire partie le 9 août 1878 d'Arceuil pour un périple d'un mois qui les a conduits en Dauphiné (Coublevie, Voiron, abbaye de Chalais, la Grande-Chartreuse, Grenoble et Uriage, avec une ascension de la Croix de Belledonne), puis en Savoie (Aix-les-Bains, Saint-Gervais, Chamonix) et enfin en Italie (Lac Majeur, Milan, Pavie, Bologne, Florence, Pise, Livourne).Comme on le voit, la majeure partie du voyage s'apparente plus à un voyage touristique qu'à une expédition d'alpinisme à proprement dite. Seule l'ascension de la Croix de Belledonne peut véritablement être considérée comme une randonnée alpestre. Toute la partie du trajet en Italie est même plutôt un voyage culturel.

Au retour, deux élèves, Eugène Ebel, âgé de 18 ans, et Georges Muleur, 20 ans, entreprennent de faire le récit de ce périple sous la forme d'un journal de voyage, assez conventionnel, écrit dans un style léger et alerte, souvent humoristique. Ils ont surtout pour but de faire naître des vocations chez d'autres jeunes. Il est publié en 1879 à la librairie Lecoffre :
La première caravane d'Arcueil. Récit du voyage de la Caravane scolaire de l'Ecole Albert-le-Grand pendant les vacances de l'année 1878.
Paris et Lyon, Librairie Victor Lecoffre, 1879


Un autre élève Léon Schiler a eu pour tâche d'illustrer l'ouvrage par ses dessins. Ils ont ensuite été gravés et ont été soit inclus dans le texte, soit présentés sous forme de planches en pleine page. Le style s'apparente au mode humoristique à la Töpffer ou, pour utiliser une référence dauphinoise, au style d'Emile Guigues. Cette vignette illustre  le style :


Il a représenté les membres de la caravane, dont les deux auteurs de l'ouvrage :

Pour le Dauphiné, le "clou" du récit est l'ascension de la Croix de Belledonne. La montagne est souvent représentée. On voit bien entendu le massif au deuxième plan de cette vue de Grenoble.


On retrouve Belledonne sur le frontispice reproduit en tête du message, puis dans une vignette dans le texte.



Enfin, une gravure représente la vue depuis la Croix de Belledonne le jour de l'asension par la caravane le 18 août 1878. La planche est gravée d'après une photographie du capitaine Allotte de la Fuye, un alpiniste qui a fait de Belledonne son terrain d'exploration. Le hasard a fait qu'ils se sont rencontrés lors de cette ascension. Au deuxième plan, le panorama représente le massif des Ecrins, avec la Meiije à l'extrême gauche, jusqu'à la Muzelle à droite.


 Détail avec la Meije, le Râteau et le glacier du Mont-de-Lans

Pour finir, l'école dominicaine Albert-le-Grand d'Arcueil a eu une longue tradition pédagogique où les études intellectuelles devaient s'allier à la pratique de l'exercice physique. Cela explique qu'elle ait été une des premières à organiser une caravane scolaire telle que préconisée par le Club Alpin Français. Cette tradition s'est concrétisée en particulier par le père Didon, proviseur et prieur à Arcueil en 1890, qui a été à l'origine du renouveau de l'esprit olympique. Sur le père Didon, voir la notice Wikipédia : cliquez-ici.
Sur le site de la ville d'Arcueil, une longue notice est consacrée à cette école : cliquez-ici.
L'école est représentée sur cette vignette en tête du premier chapitre :


Comme toujours, rendez-vous sur le site Bibliothèque Dauphinoise pour une page plus développée : cliquez-ici.


Réflexions à propos d'un essai de bibliographie départementale sur les Hautes-Alpes

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Il y a presque 15 ans, constatant qu'il n'existait aucune bibliographie fiable et complète sur les Hautes-Alpes, j'ai entrepris de me constituer une bibliographie sur le sujet à mon usage personnel. L'idée était de référencer tous les ouvrages parus qui traitent directement des Hautes-Alpes, soit de la totalité du département, soit d'une partie (région, ville, etc.) du département. Tous les thèmes ont été retenus, sans exclusive : histoire, géographie, sciences naturelles, alpinisme, beaux livres, etc. J'ai même inclus quelques ouvrages plus généraux dont le contenu apportait des éléments intéressants sur le département. Comme je voulais aussi traiter du massif des Ecrins dans sa totalité, j'ai inclus tout ce qui concerne l'Oisans.

Le département des Hautes-Alpes a toujours été pauvre. Au maximum démographique du XIXe siècle, il ne comptait que 130 000 habitants. Il n'abrite aucune université. Sa bourgeoisie locale a toujours été très modeste, par rapport à des départements voisins ou limitrophes comme l'Isère ou la Savoie, au nord. Le premier imprimeur n'est apparu qu'à la toute fin du XVIIIe siècle. Les conditions n'étaient donc pas remplies pour que la bibliographie soit riche et ancienne. Par conséquent, je pensais qu'elle ne contiendrait qu'un maximum d'un millier de titres. Aujourd'hui, résultat de mes travaux, elle en compte près de 3 000 (2 864 au jour d'aujourd'hui, dont 1 080 précisément décrits sur des exemplaires que j'ai eu en mains). Je me demande même quelle sera la limite. Je pensais avoir presque tout trouvé et pourtant, aujourd'hui encore, par le hasard d'une recherche dans Gallica sur Dominique Villars, j'ai trouvé un nouvel ouvrage que je ne connaissais pas. Certes, il ne s'agit pas d'une pièce qui apporte une élément fondamental sur le département. J'espère que j'ai désormais identifié tous les ouvrages majeurs sur le sujet. Mais, dans un souci d'exhaustivité, ce sont aussi ces petites plaquettes qui m'intéressent. Concernant un des préfets les plus fameux des Hautes-Alpes, elle présente un intérêt certain pour des amateurs comme moi :
Petite biographie populaire de M. le Baron de Ladoucette, ancien préfet des Hautes-Alpes, suivie d'une cantate et du programme des fêtes.
Gap, Typographie P. Jouglard, [1866], in-8°, 8 pp.


Mais où cela s'arrêtera-t-il ? En effet, régulièrement, je trouve de nouveaux ouvrages. Est-ce que la limite sera 3000 références dans la bibliographie ? Est-ce il me manque encore plusieurs centaines de références ? Je ne sais et je crois bien qu'en-dehors de moi, personne ne le sait.

Je me dis que pour des départements dont l'histoire est beaucoup plus riche, il est à peine imaginable de pouvoir faire une bibliographie exhaustive. Sans aller très loin, combien de références compterait l'Isère, avec sa riche histoire, incluant, en plus, tout ce qui concerne le Dauphiné ? Je comprends que ces bibliographies départementales ou régionales soient rares, car cela représente un travail de romain, pour, probablement, un nombre de lecteurs/amateurs relativement réduit.

Pour finir, comment je l'ai constituée ? J'ai compilé les grandes bibliographies dauphinoises (Maignien, Guide des Archives des Hautes-Alpes, de Playoust, Histoire de Briançon, de J. Routier, etc.) en ne retenant que ce qui concerne les Hautes-Alpes. Idem pour les bibliographies sur la montagne et l'alpinisme (Jacques Perret, Raymann, etc.). Surtout, et c'est la source la plus riche, chaque fois que j'ai un livre en mains sur les Hautes-Alpes, je parcours la bibliographie et, le cas échéant, je complète la mienne. Ensuite, il y a le hasard de mes achats (exemple de l'acquisition récente d'un ouvrage dont l'existence n'était signalée nulle part : Contribution à l'étude de l’utilisation des forces hydro-électriques dans les Hautes-Alpes. Monographie de l'usine de l'Argentière-la-Bessée, par Raoul de Vibraye, Paris, Librairie de France, 1932), de mes découvertes sur Internet ou, comme aujourd'hui, le hasard d'une trouvaille sur Gallica.

J'espère qu'un jour, je pourrais penser que ma bibliographie est complète (ou presque !) et, à ce moment-là, pourquoi pas, la publier, même si l'époque devient de moins en moins propice à ce type de démarche et que le public intéressé est fort réduit (une centaine de personnes, en comptant les personnes morales ?).

Je clos ici ce message et je repars à la recherche de l'ouvrage inconnu sur les Hautes-Alpes, que personne ne référence et qui existe pourtant !

Un fou littéraire haut-alpin

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Le 2 avril 1808, en fin d'après-midi, la paisible ville de Gap fut troublée par un tremblement de terre qui réveilla tout d'un coup des inquiétudes au sein de la population. Certains se souvinrent alors d'une prophétie de Nostradamus (laquelle ?) qui prédisait une engloutissement de la ville de Gap. En ces temps de prospérité impériale, il n'était pas admissible que la quiétude d'une tranquille préfecture de l'Empire soit perturbée par de tels événements. C'était sans compter sur un juge du tribunal de Gap, probablement légèrement inoccupé, Jacques François Joseph Rochas qui prit aussitôt sa plume et sa science pour rassurer ses concitoyens. A peine un mois plus tard, il produisit des : Observations sur les tremblemens de terre, contenant quelques détails relatifs à la capitale des Hautes-Alpes et aux contrées du département du Pô, dans lesquelles les phénomènes du 2 avril dernier et jours suivants du même mois ont fait éprouver des alarmes, par M. R***.
En 12 propositions, il développa sa démonstration : les tremblements de terre sont provoqués par des feux électriques ou foudres, qui se propagent par des souterrains. Il put donc affirmer : Gap est à l'abri des feux souterrains, ainsi que des inondations.
Je ne résiste pas au plaisir de donner la liste exhaustive des 12 propositions :
1. Ce n'est que depuis le déluge universel arrivé sous Noë , que les tremblemens de terre se sont manifestés sur notre globe.
2. On peut en tout pays parvenir à lever la carte des grottes et souterrains qui ont été le siège des derniers tremblemens de terre, et en tirer des éclaircissemens pour ceux avenir.
3. Route qu'à tenu le feu du tremblement de terre du 2 avril 1808 et jours suivans, dans partie des état de Napoléon et des cantons Helvétiques
4- Jusqu'ici les assertions qu'on a données sur la direction des tremblemens de terre ne sont que des conjectures incertaines. Plan d'une machine fort simple qui doit infailliblement indiquer la direction des feux souterrains toutes les fois qu'on éprouvera un tremblement de terre;
5. Les mouvemens que le tremblement de terre impriment quelquefois aux cloches et sonnettes suspendues, ne peuvent-ils pas être déterminé par toute autre cause immédiate que la secousse qu'éprouvent les édifices ?
6. Gap est à l'abri des feux souterrains.
7. Cette ville est de même à l'abri des inondations aussi bien que peut l'être toute autre ville en général.
8. Les tremblemens de terre arrivent plus fréquemment aux environs des deux equinoxes.
9. L'apparition ou disparition spontanée des sources d'eau commune ne prouve pas la proximité du souterrain qui conduit le feu du tremblement de terre, et encore moins la proximité du foyer.
10. Les tremblemens de terre qui se font ressentir en plusieurs lieux presqu'au même instant et à d'assez grandes distances, ne peuvent avoir que le feu électrique pour agent principal.
11. Les moyens jusqu'ici proposés par les physiciens à l'effet de délivrer certains territoires des tremblemens de terre trop fréquens, en facilitant l'éruption des feux volcaniques, paraissent les uns insignifians, les autres au-dessus des forces humaines.
12. Les tremblemens de terre sont aujourd'hui pour nous des événcmens naturels et l'on ne saurait rien observer dans les météores, ni dans l'instinct des animaux qui soit capable de nous servir de présage à ce sujet.
Ce brave juge aurait pu en rester là. Il faut croire que sa notabilité l'a protégé des quolibets et critiques, car un mois après, il complèta son "œuvre" par un Supplément aux précédentes Observations sur les tremblemens de terre et fit donc paraître anonymement, comme le premier :
Nouveau pas sur les sentiers de la nature. Concernant les causes physiques des secousses réitérées des Tremblemens de terre. Système sur la matérialité de l'axe du globe terrestre; Le tout accompagné de quelques particularités qui ont rapport aux Sciences Physiques, Naturelles, et à l'Antiquité, traits d'Histoire et Réflexions morales.
Ouvrage utile à l'enseignement de la Jeunesse.
Par un habitant des Hautes-Alpes.
Gap, J. B. Genoux, Imprimeur, 5 mai et 25 juin 1808, in-12, [2]-292 pp.

L'ouvrage est indescriptible. Je vous laisse découvrir les sujets qui se suivent sans ordre ni cohérence. Il semble juste avoir une prédilection pour l'antiquité. J'en ai fait une lecture détaillée, que vous pouvez consulter ici : cliquez-ici. Vous penserez peut-être que s'il y a des fous pour écrire de tels livres, il y a aussi des fous pour les lire et passer quelques heures à décrire leur production. Je finis ce message en notant simplement qu'André Blavier, dans son ouvrage de référence Les fous littéraires n'a pas connu cette production de notre province.

Pour terminer ce message, je ne peut que dire, comme l'auteur : "Comme ces conjectures ne peuvent mener à rien de solide, n'abusons pas des momens du lecteur".

Pour atténuer mon propos, et ne pas vexer d'éventuels descendants de ce monsieur qui prirent la particule et la noblesse en se faisant appeler de Rochas d'Aiglun, signalons que son père fut un des premiers historiens de Gap (Joseph Dominique de Rochas, cliquez-ici) et que son petit-fils, Albert de Rochas d'Aiglun, polytechnicien et directeur des études de la prestigieuse école, fut un érudit qui avait tout de même un brin de fantaisie, comme en témoigne cette photographie où on le voit entouré d'un spectre.



Sur les Rochas d'Aiglun : cliquez-ici.

Le loup dans les Hautes-Alpes ... et dans les livres

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LesLoups ministres de la cholere de Dieu, lesquels ces années passées ne couroient aux chairs humaines, que de l'Embrunois sans endommager les voisins ne l'estranger qui y frequentoit, ne mesme sortir des limites de cette principauté là, commencerent enfin de venir faire leurs courses et leurs ravages dans nos terres, s'en prendre aux Chrestiens Briançonois, qui sont deça le Mont-Genevre, et par ainsi du mesme Diocese. Une jeune fille en Queyrieres fut la premiere qu'ils mirent en pieces et emportarent la nuict sur les marches de l'Embrunois. Un loup fut sinon si apprivoisé. Puisque, lupus cicur fieri non potest, dit sainct Basile, du moins si hardy, que de venir le soir dans sainct Martin Queyrieres, mettre sa teste à la fenestre d'un establat pleine de gens, et puis lutter avec une villageoise, laquelle en estant quelques heures apres sortie pour aller où elle estoit requise en personne, il la saisit, et elle, le Loup, et ne sçeut se defendre si bien, ne le soudain secours, qui à son cry accourut, que cet animal n'emportat partie des fesses par où il l'avoit surprinse.
Ces quelques lignes, parfois obscures, introduisent le chapitre Ravages des loups, d'un ouvrage paru en 1639 :
Essais d'Antoine Froment advocat au Parlement du Dauphiné sur l'incendie de sa patrie, les singularitez des Alpes en la principauté du Briançonois, avec plusieurs autres curieuses remarques sur le passage du Roy aux Italies, ravages des loups, pestes, famines, avalanches, embrasements de plusieurs villages, y survenus de suite.
Grenoble, Pierre Verdier, Imprimeur du Roy, M. DC. XXXIX (1639), in-4°, 300 pp.

Je ne cite pas la suite qui n'est qu'une litanie sur les faits et méfaits du loup, qui se poursuit dans ce style indigeste que j'épargne au lecteur, à l'exception de cette petite notation :
Un autre Loup fut si osé et si delicat, que de venir à plein jour presque au mitan dudit village de Chante-Merle, boire à la barbe de la fontaine parer le groin à la cheute de l'eau et s'en retourner hardiment.
Elle m'a remémoré ces deux photos spectaculaires : un loup au Plan-de-Phazy, près de Guillestre. Ces photos, prises par un agent de l'ONF durant l'hiver 2009, démontrent, s'il en était besoin, que le loup est bien présent dans les Hautes-Alpes.


Artistide Albert a republié ce texte en 1868, avec des notes :


Reproduction de la page de titre de l'édition originale de 1639


A propos des loups, A. Albert précise :
Depuis environ trente années, les loups ont presque complètement disparu du Briançonnais. De temps à autre, on en signale quelques-uns dans le canton de l'Argentière, venus du Champsaur ou du Valgaudemard, par la gorge du Fournel.
Dans toute la littérature ancienne, le loup n'est qu'un animal dangereux, nuisible, qu'il faut chasser et exterminer.

On pourrait trouver de très nombreuses citations sur le loup dans les Hautes-Alpes et dans nos montagnes, mais tel n'est pas mon propos aujourd'hui. Comme vous le savez, le loup est revenu dans les Hautes-Alpes, et plus généralement en France. Cela a donné l'idée à Jean-Michel Bertrand de partir à sa chasse, non pas pour l'exterminer comme aimait le décrire nos anciens, mais pour le débusquer dans sa cache et le filmer. Il nous a déjà donné une très belle évocation de l'aigle dans les Hautes-Alpes, dans le film Vertige d'une rencontre. Il part maintenant à la poursuite du loup et, pour cela, il fait appel à l'aide des internautes pour financer une partie de son film, selon le principe du "Crowdfunding", pour ceux qui aiment les concepts modernes et les mots qui les accompagnent.



Si vous êtes tentés d'aider ce projet, rendez vous sur le site de TousCoprod en suivant ce lien : cliquez-ici. (Attention, il reste 12 jours !) Même si vous ne voulez pas participer, vous pouvez y aller pour voir la belle bande-annonce et quelques actualités sur la poursuite du loup.

Pour terminer ce message, juste un commentaire. Dans les Hautes-Alpes, le sujet du loup est extrêmement émotionnel et, comme l'on dit dans le jargon actuel, très clivant. Autrement dit, il y a ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Le fait qu'aujourd'hui j'apporte ma modeste contribution à la promotion de ce film animalier ne préjuge en rien de ma position, dans cette échiquier politique (parce que, malheureusement, il s'agit aussi de cela) du sujet.

Pour finir sur un animal plus consensuel, ces quelques photos de bouquetins au-dessus de la route du Lautaret. Je les ai prises il y a quelques semaines pendant mes vacances. La chasse photographique du bouquetin est plus paisible que celle du loup !












 
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